CONTENIR SA VITALITÉ DANS MON RÔLE D'AIDANT
par Mariette Martel, Psychothérapie Corporelle Intégrée (P.C.I.)
Introduction
Qu’est-ce que la vitalité, le bien-être, la présence à soi? Nous avons tendance à définir le bien-être par l'absence de problèmes, de douleurs ou d'irritants. Un peu comme si la vie était un petit bonheur tranquille, sans histoire, sans catastrophe, sans vague. Tout au long de cet article, je réfère souvent au bien-être comme à cet état de présence à soi, d’attention à ce qui émerge dans mon expérience minute après minute: sens, feelings, sensations, émotions, pensées, croyances... etc. Cet état de bien-être inclut toute la palette des couleurs du senti humain : les émotions d'urgence autant que les émotions de plaisir. Dans toute émotion, sentiment ou feeling corporel se retrouve ma vitalité, mon énergie, mon Soi. Cette attitude d'accueil me permet de vivre ce qui est et de me donner le soutien ou le réconfort dont j'ai besoin. Je ne vise pas à combattre mon vécu, à l'oublier, à le changer, à l'enterrer... etc. Comme B. Stevens l'annonce : «Don't push the river, it flows by itself». ( Laisse couler la rivière, elle suit le courant.)
Qu'est-ce qui m'amène à aller à contre-courant dans la rivière de ma vie au lieu de me rencontrer, et ce en lien avec les autres, avec les situations, avec l'Univers...?
L'un des plus grands leviers pour me couper de mon expérience (sentie) est probablement la peur de souffrir. La douleur est inévitable dans ma condition d'être humain : être incarné dans un corps et ayant un cœur. La confrontation à mes limites, aux pertes et à la peur demeure incontournable. Je suis un être mortel et en évolution constante. Que de fois je m'agrippe à la permanence, à la sécurité, aux possessions, aux relations, au pouvoir... alors que la vie est en perpétuel mouvement.
Comment contenir ou vivre ce qui m'habite alors qu'il y a tant de souffrance en dedans et tout autour de moi? Comment soutenir mon bien-être, mon Soi?
Guides vers la conscience corporelle et énergétique
Le premier guide est la conscience de mon expérience immédiate (sens, sensations, feelings, émotions, énergie,...). Qui suis-je tout de suite ? Est-ce que je choisis d'avoir une attitude d'écoute et de réception quel que soit mon vécu (ennui, rire, joie, peine, peur, colère,... etc.)? Par exemple, quels sont les signes corporels de ma peine ? Comment est-ce que je vis cette expérience (gorge nouée, yeux humides, respiration retenue, pensées ou croyances accompagnant mon émotion)?
Quelle est ma tendance naturelle, mon réflexe quand je suis conscient de mon ressenti? Par exemple, quand je suis blessé, quelles sont mes réactions instantanées : accueil, culpabilité, déni, agitation, compulsions (boire, manger, fumer, T.V., etc.)? Ou bien, est-ce que je me parle, je me raisonne, je me critique, je m'exige, etc.? Si j'ai de la peine et que je suis avec un proche ou un aidé‚ quelle est ma réponse ? En faire plus pour l'autre, le blâmer ou le prendre en charge, me justifier et m'excuser,... etc.? Est-ce que je me coupe de mon senti ou est-ce que je fais «semblant» que ça va bien ? Est-ce que je me cache au regard de l'autre ? Est-ce que je vis dans la honte, le mépris ?
Nous avons tous appris des mécanismes pour préserver notre image, pour nous valoriser, pour être aimé et reconnu. Enfant, nous étions prêts à beaucoup pour nous sentir vu par nos parents. Nous avons pourtant un tel besoin de vérité, d'authenticité et d'ouverture.
Habilité à contenir ma vitalité
Maintenant que je sais de façon ressentie (dans mon corps et dans mon énergie) ce que je vis et que je me l'admets, j'ai besoin de laisser mon vécu se déployer. Je crée un espace intérieur; mon corps est le lieu où se déroule mon expérience. Pour ce faire, je respire pleinement, j'accueille et je me soutiens. J'apprivoise ce flot de vie qui circule en moi et qui se répand dans tout mon être. J'appelle ce processus «contenir». Attentif à moi, je puis être ouvert et disponible à partager avec l'autre.
Cette habilité à contenir se développe; elle n'est pas innée. J'apprends à ressentir autant la souffrance que le plaisir. Je puis me porter quel que soit mon intensité.
Pour acquérir cette confiance à se laisser être pleinement qui il est, un enfant a besoin d'un parent présent, qui le voit et le supporte dans sa vitalité. Si le soutien n'a pas été accordé en quantité ou qualité suffisante, l'enfant apprend, pour se préserver, à réduire son excitation. Il peut par exemple se retenir, bloquer l'énergie et se sentir à l'étroit comme dans une armure; Il peut aussi s'éteindre , se mettre au neutre en niant, en oubliant ou en refoulant les émotions jugées inacceptables; ou encore, il peut décharger et se débarrasser de ce qui est intolérable en s'agitant, en parlant beaucoup, en s'activant...
Quand, dans les premières années de vie, un enfant n'arrive pas à tolérer une expérience émotionnelle par manque de présence ou de capacité du parent à contenir, l'enfant ne peut à lui seul compléter une expérience difficile, l'intégrer et savoir qu'il peut s'en sortir indemne et plus grand. Son sens de Soi n'est pas assez fort pour rencontrer une trop grande blessure ou une trop grande intensité. Or, sans le bon soutien parental, l'enfant vit l'éclatement de son soi. C'est une expérience très douloureuse et l'enfant va se protéger par des défenses qui entraînent une diminution de son bien-être et de sa vitalité. En P.C.I., on nomme ce morcellement du Soi, la fragmentation.
Je veux apporter quelques nuances concernant la fragmentation. Premièrement, je peux ressentir des émotions très intenses sans me sentir fragmenté. Si je demeure en contact dans la réalité ici et maintenant et que je prends soin de moi, je ne suis pas perdu, démoli ou mêlé. Deuxièmement, je peux vivre un véritable tremblement de terre intérieur en étant tellement coupé ou au neutre que je ne suis pas conscient de ma fragmentation.
Blessures au soi – l’origine de la fragmentation
Je vais référer souvent à l’importance des relations qu’un enfant a développées dans le passé‚ auprès des figures parentales. La façon dont un enfant apprend à être en relation dans ses premières années de vie va prédéterminer toutes les relations affectives et signifiantes dans sa vie ultérieure.
Pour qu'un enfant développe un sentiment fort de Soi, qu'il valide ses perceptions de lui et de l'autre, qu'il soit confiant dans sa vie et dans la vie, il y a trois ingrédients nécessaires:
1. Auprès de ses parents, l'enfant apprend à être en lien en se sentant sécure: Il a besoin d'expérimenter qu'il peut être lui-même sans être menacé de perdre le lien ou de se perdre.
2. L'enfant a besoin d'être vu et entendu tel qu'il est: le miroir que le parent lui retourne doit correspondre à son senti et à son expérience. Si c'est le cas, cet enfant se sent alors compris et intériorise qu'il a de la valeur tel qu'il est, dans toutes les nuances de sa vitalité.
3. Avec l'acceptation et la reconnaissance de ses parents, l'enfant se perçoit comme un être séparé, distinct, à part entière et unique. Il n'a pas à être l'extension de ses parents.
Il est évident qu'enfant, nous avons tous vécus à des degrés divers, des manques dans ces trois besoins fondamentaux de sécurité. Le besoin de lien, de miroir adéquat et de différenciation ou de séparation. Ces heurts nous ont amenés à construire des réflexes de défenses qui nous ont préservés de sentir à quel point c'est douloureux de ne pas se sentir correct, aimable, confirmé par les personnes dont je dépends pour ma survie. C'est intolérable pour un enfant de vivre pleinement cette douleur d'abandon, de rejet ou d'envahissement. Malgré‚ que nous soyons devenus adultes, nous nous coupons souvent de notre intensité (jouissance/douleur). Pourtant, nous sommes bien mieux outillés pour nous soutenir.
Quand je fragmente dans ma vie actuelle, il est certain que j'ai été rejoint dans une blessure primaire de mon enfance. Ce qui provoque un tel éclatement de mon bien-être aujourd'hui est un rappel, si minime soit-il, du passé. Mes vieux mécanismes de protection vont de manière automatique, donc inconsciente, prendre la relève et du même coup me priver d'une partie de ma vitalité et de ma conscience. Je revis à nouveau l'absence de soutien et d'empathie dont un enfant a tant besoin pour grandir.
Je te suggère une démarche pour t'aider à retrouver ton bien-être quand tu te sens fragmenté, que tu as complètement perdu ton bien-être ou le sens de qui tu es. L'état de fragmentation est très douloureux et c'est pour cette raison que tu as appris à t'en dissocier, à t'en couper. Le plus impérieux est de reconnaître que tu es éclaté et d'accepter de te redonner l'appui que tu n'as pas eu suffisamment dans le passé.
Étapes pour réintégrer ton bien-être quand tu fragmentes
En premier, reconnais ton expérience de fragmentation. Quels sont les indices que tu t'es perdu? Comment te parles-tu, comment te coupes-tu de l'ici et maintenant? Quels sont tes comportements, tes agirs, tes émotions? Plus vite tu sais que tu es fragmenté, plus rapidement tu peux recoller tes morceaux et te sentir à nouveau présent et unifié.
En second, admets: «Je suis morcelé, bouleversé, démoli, à fleur de peau, vulnérable, fragmenté» ou n'importe quel mot qui traduit ton éclatement. Reconnais ton discours interne: quels sont les mots ou les phrases irrationnels que tu te répètes de façon obsessionnelle? C'est utile de repérer ces mots ou ces phrases t'indiquant que ton bien-être interne a foutu le camp. Souvent, ils traduisent ton négativisme et tes croyances; ils t'amènent à du découragement ou dans un cul de sac.
Écris dans ton journal «En ce moment, je suis fragmenté(e), éclaté(e). Je l'ai été dans le passé et je m'en suis sorti(e). Je le suis en ce moment et je vais m'en sortir à nouveau. Il y a de l'espoir. Tout passe car tout est en mouvement».
Ensuite, réalise que tu n'es pas présent, ici et maintenant. Tu es aspiré‚ par le passé par des images, des scènes difficiles ou des paroles blessantes. Tu entretiens ton désespoir car tu ne peux changer ton passé. Ta perception de la réalité est déformée: tu ne vois plus clair, tu n'es plus en contact avec ce qui t'entoure et tu n'es plus dans ta conscience corporelle (sensations, sens, respiration,...). Quand tu es fragmenté, tu es dans la «brume». Tant et aussi longtemps que tu évites d'y faire face, tu restes ou mal, ou coupé ou au neutre. Ne compte pas sur le temps pour t'en sortir. Contrairement à la croyance populaire, le temps à lui seul ne suffit pas pour sortir de ton état de fragmentation.
Redeviens présent: un exercice simple pour te ramener consiste à nommer des objets et leur couleur (un mur jaune, une table beige, une fleur rouge,...); remets tes yeux au focus. Tu peux aussi sentir tes pieds sur le sol: debout, genoux légèrement fléchis, tu sens que tes jambes te portent, que tu reposes sur la terre , que tu as ce soutien. Si tu repars dans tes idées et des émotions négatives, tu te ramènes dans la réalité: pas de lutte, juste revenir à ton corps, à tes sens..., à ta respiration.
Sois attentif à ta conscience corporelle dans l'ici et maintenant et écris dans ton journal ce qui t'a mis dans cet état de fragmentation. Ces déclencheurs passent souvent inaperçus tellement ce sont des «banalités». Cependant, quant tu es en mille morceaux, sache que quelque chose a réactivé en toi une blessure ancienne: peur de l'abandon, du rejet, d'être ignoré,... ou peur d'être contrôlé, utilisé,...etc.
Cette blessure qui trouve son origine dans l'enfance et qui est gravée dans ta mémoire corporelle ne peut guérir ou être intégré sans ta présence et ton soutien dans le moment présent. Si enfant, tu avais reçu ce soutien manquant, que tu avais, par exemple, été vu dans ta colère, compris et supporté, ton soi serait plus grand que la blessure. Nous avons tous été heurté dans le passé. Comme nous, nos parents avaient eux-mêmes un soi plus ou moins fragile. Loin de moi l'intention de t'inciter à blâmer ton parent ou à l'excuser. Ce qui est nécessaire en ce moment c'est que toi tu prennes au sérieux les blessures que tu as eues et que tu acceptes de te re-parenter et de te soutenir «aujourd'hui».
Je ne puis changer le passé, mes parents, les circonstances de ma vie (épreuves, accidents, pertes,...) Cependant, je puis choisir comment je me traite et bien sûr aller chercher du soutien et en demander. Ceci est très différent de mon passé où enfant j'avais moins de ressources ou de forces pour me supporter. Malgré cela, comment puis-je ne pas m'en sortir aujourd'hui alors qu'enfant, plus démuni et limité, j'ai réussi à survivre? Revenir dans la réalité d'aujourd'hui c'est reconnaître que mon vécu actuel et celui du passé sont deux réalités bien séparées, bien distinctes. J'ai à développer mon discernement.
Fais le pont entre ta fragmentation présente et les blessures du passé: Retrouve ce qui t'a précipité dans cet état de fragmentation et qui rappelle ce que tu as vécu de difficile étant enfant. Ce qui doit te guider pour faire cette démarche c'est vraiment ton souci et ton ouverture à te donner le parentage que tu aurais eu besoin quand tu étais petit. Ne te laisse pas submerger et envahir par ton ressentiment, ta peine, ta détresse ou tes manques. Reconnais la blessure. Par exemple: «Je te vois dans ta peine. Je te vois seul, ayant peur... Je suis ici pour toi maintenant». Ce sont des mots ou des gestes qui t'ont manqués, que tu as tant désirés entendre ou recevoir. Fais confiance à ce qui émerge. Tu es la personne la mieux placée pour comprendre cet enfant qui habite en toi. Cet enfant n'est pas qu'une idée, un beau concept ou une photo du passé. Il est rempli d'énergie et toute ta vie tu vivras avec ses ressources et ses manques. C'est dans ton cœur que tu peux être proche de lui, que tu peux le prendre, le bercer et t'amuser avec. L'enfant en toi n'est pas seulement un tas de blessures; il vibre aussi à la joie, à l'émerveillement, à l'enjouement, ...etc.
Une bonne façon d'être en contact avec ton soutien, c'est de te poser la question suivante: «Après quoi cours-tu dans ta vie?» C'est probablement après ces messages de bon parent. Tu les attends des autres, tu les recherches. Maintenant tu peux te les donner et bâtir une source interne de soutien. Réfère en annexe à une liste de messages que donne le bon parent; tu peux y ajouter tout autre message qui te fait du bien en ce moment (Voir annexe I).
Tout en demeurant présent à ton corps et à ton énergie, respire profondément et donne-toi ces bons messages en les ressentant, en les goûtant. Laisse-toi recevoir et ancrer l'effet de ces paroles de soutien. Il est possible que tu te sentes plus calme, plus en paix, plus centré, plus en harmonie.
Obstacles à retrouver mon bon sentiment de qui je suis:
Quelles sont les ruses que j'emploie pour contrecarrer ma volonté de me retrouver, de panser mes blessures, de m'accueillir dans mon cheminement de qui je suis (de mon Soi)? Ces ruses se déroulent souvent à mon insu.
Le premier obstacle, le plus répandu, est de croire que mes idées, mon bon vouloir et ma compréhension intellectuelle vont suffire pour m'équilibrer. Je le redis, si je ne suis pas dans ma conscience ressentie du moment, je ne puis vraiment réintégrer mon bien-être. Je suis dans mon idée de «qui je suis» mais «je ne suis pas». Être, ce n'est pas penser qui je suis. Bien sûr, bien des croyances supportent cette rupture avec mon corps. «Si tu veux, tu peux...», «Raisonne-toi, tu n'es plus un enfant...», «Passe à autre chose, le passé c'est terminé...», «Si tu avais compris, tu ne fragmenterais plus»... Et j'en passe... car la société et la culture m'invitent à traiter mon corps et mon cœur comme des «machines», des «robots», ou des «objets». Mon corps est le détecteur de mensonges le plus fiable qui soit! Je peux me faire accroire n'importe quoi (avec ma tête) mais mon corps ne peut me mentir si je l'écoute, je l'entends et j'en tiens compte. C'est un guide sûr et c'est ma référence de base pour m'indiquer ce que je ressens et ce dont j'ai réellement besoin. Mon intelligence et ma compréhension cognitive viennent s'appuyer dans mon corps et dans mon cœur. Je peux déjouer les pièges de mon mental ou de mes croyances car j'ai ma conscience corporelle comme baromètre.
Un autre obstacle de taille est mon refus de reconnaître que j'ai été blessé ou abusé étant enfant. Il m'est tout aussi difficile d'admettre que c'est moi, maintenant, qui continue à me traiter comme mes parents ou toute autre adulte significatif, l'on fait dans le passé. Cette répétition de mon histoire se rejoue de façon compulsive. C'est à moi de cesser l'abus aujourd'hui. Je puis accéder à du «bien-être» dans le moment présent peu importe mon passé souffrant et douloureux! Souvent j'ai besoin d'être guidé ou accompagné dans cette démarche vers mon Soi.
Une autre façon de compromettre la réintégration de mon bien-être est mon refus de prendre le temps de m'arrêter, d'écrire ce qui m'a fragmenté et de croire naïvement que «ça va passer». Quand je m'efforce d'oublier ce mal-être et ce bouleversement, je ne fais que me défendre comme je l'ai fait enfant pour sauver ma peau. C'était à ce moment une tentative saine de me protéger. Aujourd'hui, ces vieux réflexes automatiques ne sont plus adéquats et m'empêchent d'avoir accès à ma guérison, à ma connexion avec les autres et même avec Dieu (ou toute autre force supérieure). Quand je reconnais et je me permets de faire face à la douleur de ma fragmentation, je fais de cette souffrance une précieuse alliée car elle m'aide à prendre au sérieux mes blessures, mes privations et mes besoins les plus secrets. La douleur m'offre l'opportunité de me rapprocher de ma vraie nature, de me choisir et de me transformer.
Agence:
Nous avons vu à quel point, enfant, nous avons dû pour des raisons de survie, recourir à des patterns défensifs qui deviennent des blocages à la pleine expansion de notre énergie. Un autre obstacle de taille qui va détourner l'enfant de son bien-être (Soi) est sa recherche de rendre ses parents heureux ou de les satisfaire. En P.C.I., nous nommons ce processus «agence».
Idéalement, le bon parent syntonise les besoins de son enfant par sa présence et son empathie. Par contre, si le parent est en détresse ou absent, il ne sera pas disponible pour répondre adéquatement à son enfant. Celui-ci développe alors l'habitude de tourner sa vitalité à l'extérieur de lui dans l'espoir de maintenir à tout prix le lien avec son parent. Sinon, sans cet amour, l'enfant peut mourir.
L'enfant, en voulant se protéger de l'absence, du vide, de la froideur... se coupe du même coup de son excitation vitale. Il centre son attention sur les exigences et les désirs parentaux peu importe à quel point ces demandes sont irrationnelles et destructrices pour lui. L'enfant apprend à stabiliser et à équilibrer son parent; il tente ainsi d'éviter sa propre douleur d'être abandonné.
L'agence est cette compulsion viscérale à sauver les autres. Je suis très sensible et perceptif à ce que les autres attendent de moi. Cependant, je ne sais pas ce que je veux pour moi: je suis coupé de mes désirs, de mes élans, de mon propre centre d'initiative. Je suis habitué à obtenir mon bien-être en passant par les autres. Ma lumière intérieure (mon énergie) éclaire ce qui est extérieur à moi. Mon bien-être ne m'appartient plus.
L'agence est une forme d'assuétude. Je ne suis peut-être pas dépendant de l'alcool, des drogues ou du sexe, mais je recherche mon bien-être par procuration quand je porte la responsabilité de la vie, de l'humeur, du bien-être de mon parent, de mon client, de mon malade, de mon conjoint,...etc. Quand je suis si concentré à arranger l'autre, je ne suis pas présent à moi et, par conséquent, je ne suis pas vraiment disponible pour l'autre. Ce qui occupe mon esprit c'est cette tâche, ce contrat. Je suis en lien avec ce que je crois que l'autre a besoin.
Toute forme d'assuétude peut se résumer par cette recherche de me sentir «complet», plein de mon Soi et de ma connexion à ce qui m'entoure. Le Soi est ce feeling physique de bien-être, de satisfaction et d'ouverture à être ce que je suis, instant après instant.
Mon réflexe d'agence m'amène à me sentir en contrôle voire tout-puissant. Je suis dans le «faire» et non dans «l'être». Ceci ne goûte pas bon car je perds ma vitalité. Je me sens anxieux, tendu, en baisse d'énergie, fatigué ou épuisé; je perds même ma libido ou je vis une baisse de désir sexuel. Je me donne des contrats unilatéraux, c'est-à-dire que l'autre n'est pas au courant de ce que je veux arranger chez-lui; j'espère toutefois recevoir en retour de l'amour, de la reconnaissance. Si ça ne vient pas, je me sens déçu, frustré, contrarié, fâché,...
Entendons-nous, je ne suis pas une mauvaise personne lorsque je suis en agence; cela m'a permis, enfant, de m'identifier, de me donner de la valeur, de me sentir utile, aimable, apprécié. Ceci a remplacé mon véritable Soi.
Comment atténuer ton «agence»?
Nous avons vu au début de cet article l'importance de revenir auprès de Soi et de reconnaître quand nous sommes fragmentés. Avec les blessures du passé, l'agence est une autre source de fragmentation. Quand tu te sens coupable, tendu, mauvais,... que ta cible n'est pas satisfaite, heureuse, sobre,... il se peut que tu sois fragmenté. À l'aide de la procédure qui suit, retrouve ton bien-être. Rappelle-toi que tu ne peux te débarrasser de ton réflexe d'agence. C'est une habitude inscrite dans toutes tes cellules. En devenant conscient des indices corporels de ton agence, tu peux en être conscient et choisir de ne pas te laisser tomber pour obtenir l'amour.
Procédure pour retrouver ta vitalité et atténuer ton agence
Regarde ton agence en opération. Qu'est-ce que tu fais? Qu'est-ce que tu te demandes? Tu peux même l'exagérer en étant conscient. Cela te permet de mieux ressentir l'impact dans ton corps et dans ton énergie.
Reconnais que c'est une compulsion et que ceci t'a servi dans le passé. C'est seulement en ressentant dans ton corps, la différence entre te sentir vivant ou te sentir en agence que tu vas contrecarrer ton habitude. Changer tes comportements ne peut suffire car c'est un réflexe beaucoup trop ancré dans ton corps.
Dis-toi et écris: « Tu n'étais pas mauvais, enfant, de ne pas avoir rendu papa ou maman (ou une autre cible) heureux (se), sobre, en santé, ...etc. C'est beaucoup trop pour une petite fille; c'est beaucoup trop pour un petit garçon».
Redis-toi et écris: « Je n'ai rien fait de mal. Je mérite de me sentir bien. Je ne suis pas mauvais, égoïste quand je prends soin de moi».
En étant présent à tes sensations et à ta respiration, écris ou lis les mantras d'agence (Voir annexe II). Laisse-toi ressentir ce que ces bons messages éveillent en toi. Tu n'es pas obligé d'y croire. Fais confiance à la voix de ton corps.
Trouve une action que tu choisis d'accomplir en ta faveur et complète cette action. Ce peut être n'importe quel geste, parole ou action qui te fait plaisir et qui supporte ton bien-être.
Quand tu sors de l'agence, tu mets ta vitalité à ton service. Tu te nourris et ainsi tu deviens plus présent à l'autre, à ce qu'il vit tout en faisant confiance à ses ressources et à sa dignité. La vie n'est plus une série de problèmes à résoudre mais une expérience à vibrer, à sentir, à découvrir.
Présence et spiritualité
Retrouver mon plein potentiel exige que je veuille me faire du bien tout en rencontrant la douleur, inévitable. Cette dernière n'est pas une ennemie, mais plutôt une source de développement de la conscience: humaine et divine.
Quand je me nourris en me re-parentant adéquatement, je redeviens l'auteur de ma propre vie et je redécouvre ma capacité d'aimer, d'apprendre, de me satisfaire. En accueillant mon être dans toutes ses dimensions, en développant ma présence et en me supportant, je découvre ce cœur aimant pour moi et pour les autres. J'ai accès à : «quand je me fais du bien, c'est aussi à l'autre que je fais du bien», «quand je m'abandonne et me fais du mal, c'est aussi à l'autre que je fais du mal». C'est ainsi que j'entrouvre la porte de l'amour pour ce qui est plus grand que moi. J'accède lentement au fait que je ne suis plus seul dans l'Univers et séparé de tout ce qui vit autour de moi. Je découvre cette part de «Divin» ou de «Soi plus grand». Je suis ancré dans ma réalité d'être humain, différencié et unique; en même temps, je suis relié à tout ce qui m'entoure. Je suis une goutte dans la mer de compassion. J'y participe, je suis ouvert; je donne et je reçois. Je suis à la fois vulnérable et fort; à la fois en charge de ma vie et frère ou sœur de tous ceux qui croisent mon chemin.
Retrouver mon «humanitude» me met en contact avec le fait que je suis fils ou fille de l'Univers, de Dieu (ou toute autre force supérieure dépendamment de mes croyances religieuses ou spirituelles).
Je ne crois pas que la véritable spiritualité puisse se vivre à travers des idées, des dogmes et des concepts sans avoir un ancrage dans mon humanitude, dans mon Soi, dans ce que j'ai de plus sacré dans mon être. Le corps est le temple de mon Soi. Sans cette référence, je suis à la merci des modes, des théories, des gourous, des dogmes de toutes sortes. Quand je reviens dans ma maison et que je m'habite (Soi), je peux puiser à ma source en toute confiance et être en lien avec la SOURCE. Je suis mon propre guide, ouvert à d'autres guides, sans être à leur merci.
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ANNEXE I
Messages du bon parent
1. Je t'aime.
2. Tu es désiré(e) / Je te désire.
3. Pour moi tu es unique.
4. Je te vois et je t'entends.
5. Je t'aime pour ce que tu es et non ce que tu fais.
6. Je t'aime et je te donne la permission d'être différent(e) de moi.
7. Je vais prendre soin de toi.
8. Je serai là pour toi; je serai là même à l'heure de ta mort.
9. Tu n'as plus à être seul(e).
10. Tu peux me faire confiance.
11. Tu peux faire confiance en ta voix intérieure.
12. Parfois je te dirai non et c'est parce que je t'aime.
13. Tu n'as plus à avoir peur.
14. Mon amour t'apportera la guérison.
15. J'ai confiance en toi, je suis sûr(e) que tu peux réussir.
16. Je t'imposerai des limites et je verrai à ce que tu les respectes.
17. Si tu tombes, je te relèverai.
18. Je suis fier(e) de toi.
19. Je te donne la permission d'être un être sexuel.
20. Tu es beau (belle), et je te donne la permission d'aimer et de jouir de
ta sexualité avec un(e) partenaire de ton choix et tu ne me perdras
pas.
21. Je te donne la permission d'être égale, moins ou plus que moi.
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ANNEXE II
L'agence: Messages internes
1. Je ne suis pas mauvais(e). Je n'ai rien fait de mal.
2. Je n'étais pas mauvais(e) parce que je ne pouvais pas réparer (mon père, ma sœur, mon frère, etc.). Je ne suis pas mauvais(e) parce que je ne peux arranger ....................... (cible actuelle d'agence).
3. Je ne suis pas égoïste quand je pense à moi ou quand j'agis en ma faveur. J'ai le droit à la voix de mon corps, à mon corps, à ma brosse à dents...; J'ai le droit de savoir ce que je pense et ce que je veux et de le demander.
4. Je n'ai ni le pouvoir, ni le contrôle, ni la responsabilité de la vie des autres. Je ne peux les stabiliser, les réparer. On m'a appris que j'avais ces pouvoirs. C'est un mensonge que je me raconte encore maintenant.
5. Quand je prends la responsabilité du bien-être des autres, de changer leur senti, c'est envahissant et handicapant. Je détruis alors la chose même que j'essaie d'arranger.
6. L'agence est seulement un habitude que je n'ai plus à continuer.
7. Je sais dans mon corps la différence entre avoir soin de... et être en agence.
8. Je ne m'abandonnerai pas au moment où j'en ai le plus besoin.
9. Je vais me supporter et je serai capable de passer à travers ceci.
10. Ceci n'est pas une crise. C'est seulement mon habitude d'agence qui
me fait croire que c'en est une.
11. La fin de l'agence n'est pas la fin de l'amour. C'est le début. Je ne serai
pas seul(e).
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BIBLIOGRAPHIE
Rosenberg, J. L., Rand M. et Asey D. Le corps, le Soi et l'Âme, Montréal, Québec/Amérique, 1989, 416 pages.
Kabat-Zinn, Jon. Où tu vas, tu es, Éditions J.C. Lattes, 1994, 273 pages.
Martel, M. Savoir gérer ses limites, Texte paru dans les actes du Colloque «La mort parlons-en!», 1996.
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Mariette Martel est travailleuse sociale et psychothérapeute et elle exerce en pratique privée depuis 1980 auprès d’individus et de couples. Elle donne également des ateliers de groupe de thérapie intensive en résidence.
Mme Martel consacre une large part de ses activités professionnelles à la supervision et à la formation de psychothérapeutes oeuvrant dans le milieu de la Santé et des Services Sociaux ainsi que dans celui de la pratique privée.
D’abord formée à la thérapie conjugale et familiale selon l’approche de Virginia Satir, elle n’a cessé de se perfectionner depuis et elle a intégré plusieurs formations dont le Gestalt, la thérapie de la Redécision, le Transpersonnel et différentes approches corporelles : la P.C.I. et le Radix.
Mme Martel poursuit depuis 1998 une démarche en P.G.R.O. (gestalt des Relations d’objet) auprès de M.Gilles Delisle du C.I.G. Elle s’intéresse aux auteurs des Relations d’objet et à leur apport dans la compréhension des pathologies de la personnalité.
Reconnue pour son goût d’apprendre et ses qualités de pédagogue, Mariette Martel est une personne humaine et chaleureuse et c’est pour nous un plaisir de pouvoir vous présenter ce texte qu’elle nous a si généreusement permis d’utiliser sur notre site.
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Voici les coordonnées de Mariette Martel :
Psycho-Ressources des Bois-Francs
340, rue Olivier,
Victoriaville, QC
G6P 5H1
Tél. : (819) 751-1477
Adresse courriel : mmartel@boisfrancs.qc.ca
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SOURCE :
www.jobinsevigny.ca
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