mardi 2 octobre 2007

Réflexion sur la solitude

La solitude

Le sentiment de solitude est sans nul doute le phénomène psychologique le plus fréquemment vécu par la personne humaine aux différents âges de la vie. Il est souvent vécu comme un manque, un vide à combler, une souffrance.

Pour certaines personnes, la solitude est une démarche intérieure voulue et choisie, tandis que pour d’autres, elle est un boulet. Pour chacun, elle est une réalité de la naissance jusqu’à la mort.

Antoinette Mayrat (1981) définit la solitude de deux façons: la solitude objective et la solitude subjective.

La solitude objective est un fait observable, c’est l’isolement qui est la privation de compagnie humaine, la mise hors du circuit social. Cette solitude est parfois choisie par la personne qui désire laisser son logement et se retirer dans une maison d’accueil, par exemple, mais elle est subie si la personne est forcée de se retirer dans un endroit qu’elle n’a pas choisi.

La solitude subjective est un phénomène du vécu qui échappe à l’observation et au contrôle. Elle est de l’ordre du sensible. C’est un état d’âme ressenti sur un mode émotionnel. Ce sentiment peut être douloureux et angoissant pour la personne qui l’éprouve.

Plusieurs auteurs ont fait la différence entre un état d’isolement et le sentiment de solitude. L’état d’isolement correspond à la solitude objective, le sentiment de solitude à la solitude subjective. Un état d’isolement n’engendre pas nécessairement un sentiment de solitude. Celui-ci peut naître chez des personnes parfaitement bien entourées.

L’isolement social représente le problème majeur de l’avance en âge dans nos sociétés industrialisées. Selon Jacques Fessard (1978), l’isolement social pose des problèmes réels, tant affectifs que matériels. L’auteur cite les conclusions d’enquêtes américaines sur l’isolement social:

  • isolement résidentiel et isolement social ne coïncident pas nécessairement
  • l’isolement social s’accroît à mesure que la personne vieillit
  • l’isolement social affecte davantage les personnes socio-économiquement faibles et agit alors de façon déprimante sur le moral. Ainsi, l’isolement social n’agit pas tout seul, mais, combiné à la personnalité ou à l’état psychophysiologique, il aboutit à un processus de désengagement de la personne vieillissante face au système social.

La communication et l’échange sont de précieux remèdes à la solitude à tout âge. Ils permettent d’exprimer des émotions et de partager certaines situations difficiles ou des joies que nous vivons.

Sortir de son isolement exige beaucoup de courage quand nous sommes seul à nous motiver et que l’élan extérieur est inexistant. Se créer de nouvelles amitiés suppose une certaine confiance en soi, l’espoir d’être bien accueilli par l’autre. Entreprendre de nouveaux projets nécessite beaucoup d’énergie. Mais, n’est-ce pas le prix à payer pour éviter la dépendance et ne devoir compter que sur les autres pour se réaliser?

Apprivoiser sa solitude

La solitude est en relation étroite avec la maturité affective. Il existe une forme de solitude qui contribue à élargir la conscience d’être, à consolider son sentiment d’identité et à enrichir sa vie. La solitude n’effraie pas ceux qui sont de bons compagnons pour eux-mêmes et qui prennent le temps d’entretenir leur richesse intérieure. Elle exige que nous ne soyons pas dépendants. La dépendance n’enrichit pas; au contraire, elle appauvrit la personne qui la vit.

Le sentiment d’identité doit être assez solide pour ne pas dépendre de l’opinion des autres et pour résister aux épreuves de la vie. Il doit sauvegarder en nous la certitude notre valeur essentielle, indépendante de nos propres limites (Balier, 1973).

Devenir adulte, c’est sans cesse se séparer, se détacher, afin de pouvoir se centrer de plus en plus non sur soi, mais en soi. Cette évolution, à travers l’Apprentissage du détachement, se poursuit toute la vie (Laberge, 1990).

Nous avons besoin de solitude pour intégrer un à un les événements de notre vie et pour les intérioriser. Quand nous cherchons les stimuli à l’extérieur de nous-mêmes, nous vivons un phénomène de dispersion. Nous sommes tout aux choses et aux êtres qui nous entourent sans être présents à nous-mêmes. Nous existons mais nous ne vivons pas pleinement, et au moindre choc, l’angoisse nous paralyse.

Toute solitude fait partie de notre expérience de vie. Nous avons la liberté de bien profiter de nos sentiments de solitude pour nous recréer intérieurement ou aller rejoindre la solitude de l’autre lorsque nous le jugeons bon. Chaque personne est un être de relation qui a besoin de partager ce qu’elle est et ce qu’elle possèdent pour générer de nouvelles énergies.

Michel Hannoun (1991) présente trois façons de vivre sa solitude:

  1. Porter éternellement le deuil de l’autre
  2. Sans l’autre, nous ne nous sentons pas exister pleinement. C’est la solitude des veuves et des veufs âgés, qui semblent perdre leur raison de vivre; celle des personnes qui marient l’image qu’elles se font de quelqu’un.
  3. Organiser l’absence de l’autre
  4. Nous tirons notre existence de l’autre; son regard nous fait exister, mais nous n’en sommes jamais le maître. Il nous faut échapper à ce regard pour retrouver ou restaurer notre indépendance. La solitude devient une habitude, puis une accoutumance, puis on ne peut vivre sans elle. Certaines personnes investissent alors leurs énergies dans le bénévolat ou sombrent dans l’activisme.
  5. Faire bon usage de la solitude
  6. Nous percevons l’autre avec ce que nous sommes. Consciemment ou non, nous projetons des intuitions ou des images sur celui qui s’avance vers nous. À partir de nos propres espoirs ou de nos désillusions passées, nous demandons inconsciemment à l’autre de jouer un personnage sur la théâtre de notre imaginaire. Si l’autre refuse ce rôle, ou s’il le joue mal, nous pouvons nous sentir seuls. Il faut apprendre à se délivrer de la hantise de l’autre, afin d’être capable de se satisfaire de soi-même et d’accueillir l’autre tel qu’il est (Hannoun, 1991).

À mesure que nous avançons en maturité, la solitude devient positive. Nous sommes de plus en plus conscients que les déceptions et les joies sont des réalités de la vie, que les barrières du chemin peuvent être enlevées et que l’autre n’est pas une menace pour nous. L’apprentissage de vivre avec nous-mêmes nous permet d’accepter l’autre dans sa réalité à lui sans vouloir la changer.

Citons l’exemple de quelqu’un qui a appris à s’aventurer dans les eaux profondes de sa propre solitude intérieure, se suffisant à lui-même et trouvant en lui la cause de son sentiment de solitude.

Vivre c’est donc apprendre à communiquer d’abord avec soi-même pour arriver petit à petit à apprivoiser sa solitude et à y trouver sa richesse.

Bienfaits et méfaits de la solitude

  1. Une solitude qui détruit
La solitude qui détruit est celle qui se vit dans l’isolement et qui est synonyme de non-communication, de non-engagement, de non-accomplissement.
La solitude qui détruit est aussi celle qui est subie. C’est une solitude très lourde à porter parce qu’elle est génératrice de stress et d’angoisse. Nous pouvons citer plusieurs exemples de ces situations: la solitude de l’enfant qui n’arrive pas à communiquer avec ses parents; la solitude de celui qui est condamné à plusieurs années de prison; la solitude du réfugié qui doit fuir son pays par crainte d’être tué; la solitude de la personne que ses enfants ont abandonnée; la solitude du couple qui n’arrive pas à vivre l’intimité; la solitude du malade dans une maison d’accueil ou sur un lit d’hôpital.
Une liste très longue pourrait s’ajouter à ces différentes situations qui n’ont pas été choisies. Plusieurs itinérants en auraient long à nous raconter sur la solitude qu’ils vivent. Tout au cours de notre vie, nous sommes souvent confrontés à ces deux solitudes; l’une qui nous détruit et l’autre qui peut nous mener sur un chemin constructeur.
  1. Une solitude qui construit
La solitude qui construit est une solitude acceptée. C’est une solitude qui nous amène à être créatifs. Tous ceux qui travaillent dans les arts, les lettres, les sciences, ressentent ce besoin de solitude pour mener à bien leurs réalisations. Tous ceux qui sont dans les soins, en relation d’aide presque constante, en contact avec le public quel que soit leur métier, sentent parfois le besoin de solitude pour se reconstituer et refaire leurs énergies. Ils savent se ménager des temps forts pour se ressourcer intérieurement, soit dans la lecture, le sport, la musique, le cinéma, le théâtre ou dans la nature, lieu par excellence pour méditer et entrer en contact avec l’Essentiel en chacun.
La solitude qui construit est à la grandeur de notre imagination.

Conclusion

Chaque instant qui s’offre à nous est un nouvel apprentissage de la vie, dans ses limites comme dans ses moments de grande plénitude. Même si notre besoin de l’autre est très grand, il ne peut remplir notre vide et nous apporter la sécurité que nous recherchons. Cette sécurité, il faudra la trouver en nous-mêmes, car il est impossible de penser que nous pouvons nous trouver en quelqu’un d’autre. C’est tout le sens de l’identité personnelle qui entre en jeu. Cette identité se trouve en marchant sur notre propre chemin et en nous connaissant bien nous-mêmes. Le secret, c’est cette plongée à l’intérieur où nous irons puiser force et inspiration.

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Isabelle Delisle
Professeur en gérontologie et en thanatologie, Université du Québec à Hull.

Virage, Volume 1 Numéro 3, Printemps 1996

L'Association canadienne pour la santé mentale - Chaudière-Appalaches


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