jeudi 26 juin 2008

La tendresse

Dans Les origines de l'amour et de la haine (1935), le psychiatre Suttie relevait un véritable et indubitable « tabou de la tendresse ». Chacun peut voir en effet qu'on n'accepte les manifestations de la tendresse qu'entre parents et enfants ou bien entre amoureux. En tout autre occasion, le geste tendre paraît plus inconcevable et déplacé que bien des manifestations grivoises ou obscènes.

Pourquoi prendre la main, effleurer la joue, toucher les cheveux de l'autre sont-ils des actes si difficiles et quasiment impossibles à assumer spontanément ? Mis à part certains « attouchements » permis et standardisés (comme la poignée de mains ou la tape « amicale », sans oublier l’inévitable « bise » - double, triple, quadruple…), et malgré l’essor d’un nouveau souci de soi corporel, l’on ne se touche guère dans nos sociétés occidentales. Dans ce contexte, oser la tendresse physique s’avère généralement impossible, non seulement entre personnes étrangères mais également entre amis. Quelques fois, bien sûr, les douceurs du regard et les accents tendres de la parole peuvent suffire ; il n'empêche que, même sous ces formes relevées et déjà spiritualisées, la tendresse paraît difficilement soutenable au long cours. Elle est davantage l'exception que la règle...

La tendresse : Recevoir pour donner

Cependant, la tendresse est la sève de la vie. Quand, dans une relation, il ne circule pas de tendresse, la vie reste en jachère. Ce n'est pas un sentiment mais une qualité de présence, d'écoute, de contact. C'est aussi une qualité d'énergie qui passe entre les êtres, davantage de confiance proposée, reçue et redonnée dans le cycle de l'amour vivant.

La tendresse, c'est ce dont nous avons le plus besoin et, en même temps, ce dont nous avons le plus peur. En effet, qui dit tendresse dit aussi proximité, rapprochement, lâcher-prise et ouverture. On a souvent peur de l'envahissement, de l'intrusion. On craint que l'autre nous dépossède de quelque chose. Nous sommes trop souvent des handicapés, car nous ne savons pas recevoir. Nous nous sentons obligés de rendre. Dès qu'on reçoit quelque chose, on a le sentiment d'être en dette. Nous avons tendance à minimiser ou à banaliser les marques d'attention. C'est un véritable apprentissage que d'accepter ce qui vient de l'autre, d'accueillir, de laisser germer et fleurir, de moissonner et de vendanger ces fruits de la confiance, de l'abandon.

Si nous avons su recevoir, il est vraisemblable que notre rayonnement redonnera à l'univers le centuple. Nous ne serons donc pas tristes de quitter quelqu'un de cher si nous avons reçu pleinement ce qui est venu de lui et s'il a reçu lui-même ce qui est venu de nous. Chacune des parties engagées reste habitée par le partage. L'insatisfaction naît d'un manque dans la rencontre.

C'est donc que nous n'avons pas su, peut-être, accueillir et recevoir ce qui nous est venu en don, en offrande si gratuite ou si imprévisible. N'oublions pas que nous avons tous reçu une somme d'amour et d'énergie de vie. Si nous nous contentons d'y puiser, elle ne se renouvellera pas et s'asséchera. Si, au contraire, nous l'agrandissons, une entité nouvelle et enrichie d'amour reviendra à la vie universelle, au moment de notre mort. Quelqu'un viendra y puiser et l'enrichir à son tour. Ainsi, l'existence est pleine de présents, mais nous ne savons pas toujours les recevoir. Si nous les amplifions, ce sera notre façon de nourrir la vie et de nous engager ainsi à plus d'humanité.

En pensée à une personne tendrement unique...

Sources :
Philosophie en France : D'après une lecture de Freud (S.), Introduction à la psychanalyse, Payot, Paris, 1992.
ACSM - PDF

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