vendredi 16 novembre 2007

Le corps : notre plus intime conseiller

En nous révélant nos désirs et nos fatigues, nos émois et nos tensions, notre corps est la partie de nous qui communique le plus. Encore faut-il savoir l’écouter. C’est-à-dire s’écouter vraiment.

J’ai eu un vertige et je suis tombée, verdict du médecin : surmenage ! Depuis quelques semaines, j’avais de petits vertiges tous les jours, raconte Pauline, 37 ans, mais comme je n’ai pas l’habitude de m’écouter, je n’ai pas ralenti la cadence, et j’ai eu tort, évidemment. »
Que l’on tienne compte de ses messages ou qu’on les néglige, notre corps nous parle, constamment, depuis le premier jour. De nos sensations physiques primaires (faim, soif, chaleur, froid, douleur…), en passant par toute la gamme des émotions (joie, tristesse, colère…), sans oublier les sentiments (amour, haine…), tout ce qui fait de nous des êtres vivants, « ressentants » et pensants passe par notre corps. Mieux encore, il est souvent le premier, bien avant notre mental, à sentir et exprimer ce qui nous attire, nous repousse, nous fait du bien ou nous maltraite : confiant et vibrant auprès de l’être désiré, crispé et fermé en présence de certaines personnes ou dans certaines situations, détendu et comblé lorsqu’une activité nous procure un bien-être profond, physique ou émotionnel.
A l’inverse de l’esprit, prompt à réécrire l’histoire, le corps, lui, ne ment pas. Si quelque chose dans notre vie n’est pas fluide ou cohérent, il est le premier à nous en avertir.

Il nous ancre au présent. Malgré la négligence, la dévalorisation et la répression dont il a fait l’objet pendant des siècles en Occident, il reste l’outil de connaissance le plus précieux que nous ayons à notre disposition.
« La conscience que nous avons de notre corps est nécessaire à notre certitude d’être vivant dans le temps présent et à la notion que nous nous faisons de nos servitudes par rapport au temps et à l’espace », écrivait Françoise Dolto (1). Et tous les messages qu’il nous envoie sont autant de preuves de notre existence et de notre ancrage dans l’« ici et maintenant ». « Depuis que je pratique la méditation zen, je sais faire la différence entre « être dans son corps » et vadrouiller autour de lui…, constate Loïc, 35 ans. Je suis beaucoup moins fatigué physiquement et mentalement qu’avant : maintenant, j’entends quand il me dit « Stop ! » Je ne le traite plus comme une machine, parce que j’ai davantage conscience que corps et esprit ne font qu’un. »

Intelligent… et bavard. Si le corps parle au présent, à chaque seconde de notre vie organique, émotionnelle et mentale, il raconte aussi notre passé, nos meilleurs souvenirs sensuels comme nos traumatismes refoulés. Les psychanalystes, les psychosomaticiens, les neuropsychiatres et les thérapeutes corporels le savent, le corps possède une intelligence et un langage propres. Que l’on prend enfin au sérieux.
Parfois même jusqu’à l’excès et de manière caricaturale : « Vous avez des problèmes articulaires ? Cela signifie que vous êtes rigide dans vos relations avec les autres ! »
Mais le décryptage du langage du corps, comme celui des rêves, est plus complexe et moins universel que certains manuels simplistes ou interprétations un peu rapides voudraient nous le faire croire. Lionel, 43 ans, hypocondriaque autoproclamé, se souvient d’un thérapeute qui lui avait asséné sur le ton d’une révélation : « C’est simple, les hypocondriaques ont peur de la mort ! » Lionel, avant de changer de thérapeute, avait rétorqué : « Alors nous devrions être quelques milliards à souffrir d’hypocondrie sévère ! »

Ami ou machine ? Notre corps nous parle aussi de la façon dont nous le traitons et donc dont nous nous traitons. Corps négligé ou soigné, exhibé ou camouflé, il en dit long sur le regard que nous posons sur nous. Selon notre histoire, nos croyances ou notre culture, nous le considérons soit comme notre meilleur ami, et nous restons à l’écoute de ses besoins et de ses désirs, soit comme un fardeau, une machine ou un animal à dompter, et nous ne l’écoutons plus, mais nous le dominons.
Etre ou avoir un corps ? Telle est la question. Une question d’autant plus embarrassante que l’époque est aux paradoxes et aux contradictions, comme l’écrit le psychiatre et psychanalyste Francis Hofstein dans L’Amour du corps : « Nous exigeons un corps toujours disponible, mais nous n’acceptons pas ses limites, nous en voulons l’entière jouissance, mais nous détestons l’écouter, d’autant qu’il a la fâcheuse habitude de se manifester par ses ratés, ses défaillances et ses douleurs, accidents, maladies, vieillissements, qui gâchent notre plaisir. »
Se servir de son corps comme de son plus intime conseiller ne serait-ce pas tout simplement accepter de l’écouter avec attention et bienveillance, plutôt que de chercher à le convaincre ou le contraindre ? Dans ce rapport juste et conscient à soi se trouve certainement la plus grande des libertés.

Flavia Mazelin Salvi

1. In Le Sentiment de soi, aux sources de l’image du corps (Gallimard, 1997).

Source : www.bienpublic.com

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